Observations de la ville
Lundi 7 octobre 2030
Aujourd’hui marque le premier jour d’une nouvelle année scolaire. Les canicules des dernières années ont eu rendu difficile le retour des enfants sur les bancs de l’école, avec pour conséquence la prolongation des vacances d’été. De façon globale, les vagues de chaleur sont devenues un problème extrêmement perturbant, affectant le quotidien de beaucoup de personnes au sein de la société. L’exemple le plus déplorable fût l’été 2024, durant lequel beaucoup de gens à Bruxelles, principalement défavorisés et âgés, ont perdu la vie en conséquence directe de la chaleur. A l’époque, Bruxelles était considérée comme l’une des villes les plus vertes d’Europe. Malheureusement, cette affirmation n’était pas valable pour tout le monde. Un manque d’abris écologiques et un système d’information mal conçu pour la population extrêmement diversifiée de Bruxelles ont conduit à une série d’événements malheureux directement causés par le changement climatique. La ville éprouvait de grandes difficultés à maintenir ses services basiques, car les travailleurs de l’économie fondamentale faisaient partie de ceux qui souffraient le plus des vagues de chaleur. Pour remédier à ces problèmes, un fonds socio-écologique fut mis en place en 2026. La première mission de ce fonds portait sur l’éclairage public: en installant des capteurs infrarouges, les lampadaires s’éclaireraient désormais uniquement lorsque quelqu’un passe. Graduellement, les ampoules existantes furent également remplacées par une alternative basse consommation. Ceci permit de faire des économies considérables, qui furent réinjectées dans le fonds pour soutenir les groupes les plus vulnérables en isolant leurs habitations partout dans la ville. Cette initiative contribua également par sérendipité à la restauration de la biodiversité, amenant de plus en plus de chauves-souris et de hiboux à fréquenter Bruxelles durant la nuit.
Aujourd’hui, partout dans la ville, nous avons des kiosques qui émettent une brume fraîche pendant les canicules et fournissent un abri d’urgence en cas d’inondation excessive. Les gouvernements locaux utilisent également ces kiosques pour communiquer avec les citoyens et interagir avec eux en écoutant leurs préoccupations et en leur fournissant des informations et autres conseils utiles sur les façons de faire face aux défis actuels. Cette réinvention de la citoyenneté fût cruciale pour lutter contre le changement climatique dans le contexte urbain.
Mardi 8 octobre 2030
Maintenant que tout le monde a repris le chemin de l’école et du travail, il y a beaucoup d’agitation dans la ville. Comme les primes pour les voitures ont été bannies en Belgique afin de financer et améliorer les infrastructures favorisant une mobilité douce, de plus en plus de gens se rendent sur leur lieu de travail à vélo ou grâce aux transports en commun. Le monde politique ainsi que les médias prônent désormais un discours anti-voiture de façon générale. Afin de soutenir cette initiative, les populations les plus jeunes, les plus âgées ainsi que les bas revenus bénéficient d’un accès gratuit aux transports publics. La grande surprise fût l’augmentation phénoménale du nombre de cyclistes. Celle-ci peut être attribuée à la mise en place d’infrastructures plus sûres et de subsides spécifiques pour les vélos électriques destinés à ceux qui n’ont pas de voiture. Prenons le cas de la Belgo-Tunisienne Radjaa: elle avait toujours souhaité faire du vélo, mais avait peur pour sa sûreté ainsi que celle de son enfant. Après avoir rejoint un groupe de cyclisme urbain dans son quartier et circulé collectivement dans la ville durant les heures de pointe, Radjaa se sent désormais beaucoup plus en sécurité.
Le partage de voiture est également devenu très populaire depuis qu’il est géré à l’échelle des quartiers. En réduisant la fracture numérique, ces services profitent désormais aux citoyens à une plus grande et plus diverse échelle. Et bien que le mardi soit le jour le plus chargé dans la semaine, l’air de la ville est pur, la pollution sonore est faible, les rues sont plus sûres et les gens, moins stressés.
Le partage de voiture est également devenu très populaire depuis qu’il est géré à l’échelle des quartiers. En réduisant la fracture numérique, ces services profitent désormais aux citoyens à une plus grande et plus diverse échelle.
Mercredi 9 octobre 2030
Les mercredis et vendredis, tout le monde bénéficie d’une demi-journée de congé: on ne travaille que le matin. Les salaires ne sont pas affectés par cet horaire, ce droit faisant partie d’un programme progressif mis en place par le gouvernement. Ces demi-journées sont une opportunité pour les gens de ralentir, prendre du temps en famille et de s’investir dans leur communauté et leur quartier. Jusqu’à présent, ce changement a permis non seulement de resserrer le tissu social de la ville, mais également de diminuer l’empreinte écologique collective.
A l’époque, en 2019, une pression importante et envahissante était exercée sur l’empreinte écologique individuelle des citoyens afin d’impacter le changement climatique. Pourtant, au lieu d’avoir une influence positive, cette vision a eu l’effet inverse, rencontrant l’intolérance et polarisant les opinions. Avec “l’initiative climatique de quartier”, les citoyens se concentrent désormais sur l’empreinte collective de leur voisinage. De cette façon, ils se soutiennent l’un l’autre à échelle locale en partageant leurs savoirs et meilleures pratiques. Par exemple, ce soir dans la rue Malibran, les voisins se sont rassemblés pour aider une nouvelle famille de réfugiés à rendre leur appartement plus efficace d’un point de vue énergétique. Cette famille n’est pas encore familière avec l’administration Bruxelloise; leurs voisins écrivent donc ensemble un e-mail au fonds socio-écologique de la Région Bruxelles-Capitale afin de demander une aide leur étant destinée. En parallèle à cette discussion, la communauté locale en profite pour apprendre de ses nouveaux arrivants de nouvelles techniques pour la conservation d’eau, d’électricité et de gaz. Après tout, la pénurie suscite la créativité.
Avec “l’initiative climatique de quartier”, les citoyens se concentrent désormais sur l’empreinte collective de leur voisinage.
Jeudi 10 octobre 2030
Il y a longtemps, en 2012, on lançait les “Jeudis Veggie”; aujourd’hui, à Bruxelles, on a le “Jeûne du Jeudi”. Lancé au départ par des hipsters détournant un rituel propre aux communautés de migrants, le jeûne est désormais devenu normal. Malgré ses origines, il est également une véritable bénédiction pour notre planète. De plus, de nombreux adeptes du “Jeûne du Jeudi” confient avoir un rapport plus sain à la nourriture. Dans une ville comme Bruxelles, où l’on trouve 190 nationalités différentes, il n’était pourtant pas évident de changer les habitudes alimentaires de tellement de monde. Par le passé, beaucoup de gens achetaient des ingrédients venant de l’étranger pour cuisiner leurs plats traditionnels. Cela a graduellement évolué lorsque des chefs avant-gardes de différentes communautés ont commencé à expérimenter avec leurs recettes traditionnelles, en remplaçant la viande et d’autres ingrédients ne pouvant être cultivés en Belgique par d’autres substituts. Le résultat fût un succès au-delà des espérances, incroyablement savoureux. Nous n’en sommes pas encore à un régime 100% végétalien, mais au moins, il y a désormais moins de friction dans le débat de la consommation de viande vs. les normes religieuses et culturelles ce qui, en 2020, était encore une problématique majeure. Initiées par quelques individus, ces alternatives créatives ont démontré des effets positifs à long terme sur la santé; la majorité de la population bruxelloise y participe désormais, prête à adopter l’alimentation durable. Mais l’accomplissement le plus important dans les habitudes de consommation de notre ville jusqu’à présent fut sans doute le fait de garantir que 100% des repas servis dans les écoles soient issus de l’agriculture et l’élevage locaux et biologiques.
Vendredi 11 octobre 2030
Un long week-end démarre, et pourtant, rares sont ceux qui prennent l’avion pour se rendre à l’étranger. En 2021, énormément de gens éprouvaient une certaine culpabilité à prendre l’avion. D’autres étaient contrariés par les lourdes taxes appliquées sur les vols, qu’ils ne pouvaient plus se permettre. Cependant, ni la culpabilité ni la colère n’apportaient de solution à la situation socio-écologique, puisque nous étions bel et bien tous devenus victimes d’une culture consumériste qui priorisait l’individu au lieu du collectif. La question qui faisait sens, c’était plutôt de savoir si ce n’était pas de la gourmandise écologique de prendre l’avion trop souvent, ne laissant pas l’espace pour les autres de prospérer, en particulier les populations défavorisées et les générations futures. Car après tout, la seule chose à faire était de diviser de façon juste ce qu’il restait dans les limites disponibles. La nouvelle stratégie des médias unifiés à Bruxelles a joué un rôle important pour aider les citoyens à aborder le problème dans une langue et un format qu’ils pouvaient comprendre. Les campagnes de pédagogie sur de nouvelles solutions comme le slow travelling et le rationnement des vols en avion ont permis non seulement d’aider les gens à changer leurs comportements, mais également à adopter une véritable “culture citoyenne responsable”. L’Institution Européenne incita les membres du Parlement Européen à Bruxelles à montrer l’exemple au travers d’une politique d’abstention de vol, faisant part d’une stratégie de rationnement des vols en avion. Tous les employés de l’UE reçoivent désormais plus de jours de congé afin de leur permettre de voyager en train. En conséquence, le réseau ferroviaire européen s’est nettement développé et amélioré, avec des trains de nuit au coût abordable. Bien sûr, nous empruntons toujours l’avion, mais avec le rationnement des vols, nous avons considérablement réduit leur nombre annuel.
Bien sûr, nous empruntons toujours l’avion, mais avec le rationnement des vols, nous avons considérablement réduit leur nombre annuel.
Samedi 12 octobre 2030
Ce matin, dans le quartier nord de Bruxelles, un conseil de citoyens s’est réuni avec le Bouwmeester de la région Bruxelles-Capitale pour discuter d’un afflux récent de réfugiés climatiques et du manque d’infrastructures de logement pour les accueillir. En écoutant l’émission «Brussels Talks» pour entendre les conclusions de cette discussion, il est fascinant d’entendre les citoyens, les réfugiés et le Bouwmeester se réunir pour partager les conclusions collectives qui ont été tirées. Dans une prochaine étape, certains réfugiés seront déplacés vers des appartements vides à « Saint-Vide/Leegbeek », tandis que d’autres bénéficieront d’un abri temporaire jusqu’à ce que des logements supplémentaires dans la municipalité de Saint-Vide soient rénovés. À Bruxelles, le débat sur l’augmentation de la superficie bâtie bat son plein. Les nouveaux projets de construction ne sont pas facilement approuvés, la densification ayant fini par entraîner une réduction des espaces verts. Grâce à la revitalisation de notre commune vide «Saint-Vide/Leegbeek», nous pouvons conserver les parcs et espaces verts essentiels, un élément indispensable à la lutte contre le changement climatique. Dans le domaine du développement urbain, il existe aujourd’hui deux objectifs principaux: le logement social à énergie basse et les potagers communs. Grâce aux programmes communautaires sur le jardinage du potager, il existe désormais de nombreux jardins partagés dans les espaces publics et sur les toits. Pour la première fois l’année dernière, nous avons constaté un accès généralisé à des aliments frais et biologiques, au lieu de quelques privilégiés qui en avaient les moyens par le passé. Ça fait du bien au moral et surtout, on assiste au retour de communautés dynamiques, du partage de connaissances interculturelles et du bien-être.
Dimanche 13 octobre 2030
Ce matin, de nombreux Schaerbeekois se sont réunis dans le parc Josaphat pour une discussion spirituelle. Les débats spirituels d’aujourd’hui sont très différents du spiritualisme new age qui se dessinait en 2019. Au lieu d’une transformation individuelle, nous nous concentrons aujourd’hui sur les communautés et le bien-être collectif. De nombreux Européens se sentent également coupables de ce qui se passe dans les pays du Sud. Les changements climatiques ont gravement touché le sud de la planète et les habitants meurent des suites d’inondations, de sécheresses et de chaleur extrême. Nous espérons continuer notre chemin ensemble et restaurer la résilience locale. Chaque dimanche, nous organisons également une table d’hôtes solidaire, où sont servis des repas gratuits préparés avec des ingrédients frais et locaux. La participation fonctionne sur base de dons libres: certains peuvent payer et d’autres pas, mais ce qui est important, c’est que ces déjeuners rassemblent un large éventail de personnes sous un même toit et démontrent une relation saine avec la nourriture.
Cet après-midi, le panel citoyen va annoncer la distribution finale du budget (50% de la répartition du budget est gérée par un panel de citoyens). Contrairement à l’année dernière, tout le monde a le sentiment que le problème de la «cohésion sociale» va prendre moins d’importance, au vu des évolutions positives récentes. La question du climat, en revanche, reste une priorité.
Nos modes de vie ont complètement changé: nous ne sommes pas retournés au Moyen-Âge, mais vivons davantage comme nos grands-parents, valorisant ce que nous avons et entretenant des relations plus saines.
Comment en sommes-nous arrivés là?
Nous n’avions jamais imaginé qu’autant de choses pourraient changer à Bruxelles au cours des dix dernières années. Cela exigeait un changement collectif des valeurs, une appropriation de la solidarité et du soutien, ainsi qu’une modification radicale de nos habitudes. Le tournant a été pris en 2019, lorsqu’il est devenu évident que le changement climatique était avant tout une question de justice sociale. Alors que la plupart des émissions de carbone ont été produites par une minorité, les effets ont été ressentis par tous, en particulier par les groupes les plus vulnérables. Par ailleurs, nombre des solutions durables proposées n’étaient accessibles qu’à certains, créant encore plus d’injustice sociale.
Ce n’est que lorsque les citoyens et les gouvernements ont constaté à quel point la transition climatique et la justice sociale étaient liées que nous avons pu faire un bond en avant vers cet avenir éco-social. Cette transition est le résultat d’un changement de mentalité et d’actions collectives, sans imposer de choix individuels mais offrant des alternatives adaptées aux modes de vie. Cependant, chaque individu devait assumer son rôle de citoyen plutôt que de consommateur pour assurer cette transition. Le passage de «l’écologie comme punition» à «l’écologie comme mode de vie agréable» était essentiel. Les gouvernements ont joué un rôle crucial en veillant à ce que les citoyens ne soient pas obligés de choisir entre la fin du mois et la fin du monde.
Nous sommes encore loin d’avoir sauvé complètement la planète ou éliminé les inégalités sociales au sein de notre ville, mais le mouvement est en marche et il ne peut plus être arrêté: il n’y a pas de retour en arrière.
L’année 2019 a été marquée comme une année charnière dans la transition éco-sociale à trois niveaux: premièrement, grâce à des mouvements climatiques et sociaux tels que Youth4climate, Extinction Rebellion et Gilet Jaunes, qui mobilisèrent de nombreux citoyens pour faire pression sur les gouvernements; deuxièmement, l’intégration du changement climatique dans notre vie et l’entraide dans cette transition; enfin, collectivement, nous avons imaginé de nouveaux futurs qui nous ont amenés à prendre des mesures concrètes.
Imaginer des visions collectives pour un avenir éco-social AUJOURD’HUI
Ceci n’est pas une prédiction scientifique de l’avenir de Bruxelles! BrusselAVenir a choisi d’examiner la question suivante: “Comment s’épanouir ensemble dans un Bruxelles 2030 résistant au climat?”. Pas pour y apporter une réponse gravée dans la roche ou remettre en question les plans du gouvernement, mais pour imaginer de nouvelles histoires qui mettent en avant des futurs collaboratifs et interdépendants. Cette année, en avril et en juin, nous avons organisé deux ateliers LabAVenir réunissant des acteurs du changement, des organisations civiques, des chercheurs et des citoyens de Bruxelles. Dans le premier LabAVenir, nous avons centré les discussions sur des spécificités bruxelloises liées au débat éco-social. Les quatre sujets auxquels il est apparu essentiel de réfléchir dans ce contexte sont: la production locale, les médias, la gouvernance et la consommation. Les participants ont ensuite débattu sur ces sujets et imaginé de nouvelles visions du futur éco-social, en incarnant différents personnages (‘persona’) bruxellois issus de notre outil de diversité, ce qui a permis d’envisager diverses perspectives. Les scénarios ci-dessus illustrent des perspectives différentes qui ont émergé au sein de chaque sujet. Ces visions et sujets ont ensuite été débattus dans le deuxième LabAVenir, qui a abouti sur une série d’espoirs et de craintes, ainsi que sur des futurs préférés.
Vous aimeriez savoir plus sur la façon dont nous sommes arrivés à ces visions de l’avenir? Lisez sur notre page Medium.