Il est urgent pour les villes de devenir ‘vertes’. Mais les initiatives pro-climat comportent également un risque: celui de faire augmenter les inégalités. Le mouvement des gilets jaunes est précisément le reflet de cette tension, née de mesures pour la transition écologique et qui ne prennent pas suffisamment en compte leur impact négatif sur les citoyens ordinaires.
Les mesures écologiques doivent-elles nécessairement être prises au détriment des citoyens les moins aisés, ou la transition vers une ville verte peut-elle, au contraire, être une opportunité pour tous?
Un smoothie pour la transition écologique: “Vert Detox” ou “Vert Désastre”?
Imaginez Bruxelles en 2030.
Une ville verte, écologique et durable. Les habitants ont des voitures électriques et les maisons sont passives avec des panneaux solaires et des fenêtres à isolation écologique. On consomme des aliments sains et d’origine locale. Des citoyens avertis et connectés participent en politique et influencent les décideurs grâce à des applications de démocratie directe.
Les villes écologiques du futur sont souvent dépeintes comme des paradis verts.
Mais qu’en sera-t-il, si la moitié de ce paradis s’avère être un mirage?
Qu’en sera-t-il si, lorsque les voitures roulant aux combustibles fossiles sont interdites, les citoyens les plus pauvres se voient obligés d’abandonner leur véhicule, bien qu’ils vivent dans des zones mal connectées aux transports publics? Qu’en sera-t-il si des critères de construction écologique stricts empêchent les moins fortunés de rénover, aggravant des conditions de vie insalubres dans les quartiers défavorisés?
Qu’en sera-t-il si la nourriture saine et bio reste le privilège de ceux avec un portefeuille comfortable? Qu’en sera-t-il si, bien qu’elles consomment toujours près de dix fois plus de carbone que les pauvres, les personnes aisées paient toujours 4 fois moins de taxes? Qu’en sera-t-il lorsque les jeunes des quartiers défavorisés n’ont ni connaissance ni l’accès aux applications dernier cri que leurs pairs plus privilégiés utilisent pour participer à la vie en société, influencer les politiques ou encore s’auto-former…
Conséquence: les frustrations augmentent. Une élite au pouvoir se retrouve de plus en plus déconnectée d’une grande partie de la population qui se sent exclue de cette révolution verte, high tech et privilégiée. La révolution écologique n’aura pas atteint leur quartier — seulement leur portefeuille.
Plutôt que de devenir verts, les gilets jaunes risquent de devenir rouges de colère…
Pourquoi un smoothie détox n’est pas suffisant
Loin d’être une problématique théorique, ces questions nécessitent de vraies réponses si nous voulons assurer que la transition écologique n’aggrave pas des inégalités déjà fortement marquées. A Bruxelles, le risque de pauvreté touche déjà plus de 40% des jeunes de moins de 15 ans. Si les jeunes marchent pour le climat, il faudra faire en sorte que les mesures en découlant ne leur nuisent pas !
L’inégalité est un des facteurs qui compliquent l’action contre le réchauffement climatique. Les citoyens dotés de pouvoir d’achat ont un accès beaucoup plus aisé aux solutions citadines telles que voitures électriques ou panneaux solaires. Les citoyens plus précarisés se retrouvent, à contrario, souvent pénalisés.
Illustrons avec un exemple concret: une loi qui interdit le centre ville aux vieilles voitures semble inoffensive. Cependant, la plupart des personnes qui possèdent ces vieilles voitures sont des citoyens à bas revenu. Comment ceux qui n’ont pas le pouvoir d’achat d’acheter une nouvelle voiture et ne vivent pas forcément dans des zones bien connectées aux transports peuvent-ils participer de manière égale à la vie de la société? De façon similaire, lorsque le gouvernement prévoit des subsides pour les investissements en énergie verte, ceux-ci excluent les plus précarisés, ceux qui ne sont pas propriétaires ou qui n’ont pas suffisamment d’argent pour s’offrir des rénovations, tout simplement.
Si rien n’est fait, les inégalités structurelles en termes de moyens et de pouvoir que certaines mesures engendrent mèneront inévitablement à destensions sociales et troubles politiques.
Au-delà des cafés hipsters: un smoothie vert accessible à tous
Si inégalités et réchauffement climatique sont interconnectés, est-ce possible d’en faire une opportunité plutôt qu’un problème ? Au lieu de renforcer les inégalités, des principes simples tels que le partage peuvent mener à des mesures pro-climat qui bénéficient à tous, menant à une société non seulement plus écologique, mais également plus intégrée, connectée et égalitaire.
Par exemple, le réchauffement climatique requiert une consommation revue à la baisse. Or, la consommation dans les villes peut être radicalement diminuée à travers la mutualisation des infrastructures. L’optimisation de lieux de vie requiert ainsi des centrales de chauffage partagées, qui à leur tour diminuent le coût de l’énergie. Les systèmes de voitures partagées pourraient diviser le nombre de voitures dans une ville par sept. Par conséquent, les espaces dédiés au parking, devenus obsolètes, pourraient être utilisés pour créer davantage d’espaces verts, et assurer un accès à la nature pour tous. Mais ils pourraient également être utilisés pour construire des immeubles (écologiques) de luxe pour les plus privilégiés.
Quel futur choisirons-nous?
Ensemble, imaginons un futur, et préparons le meilleur smoothie que Bruxelles ait jamais connu !